"Toucher terre" de Florence Besson, ou comment passer des soirées parisiennes à l'agriculture bio
C’est l’histoire d’une échappée belle. Trop de trop, de consommation, de béton, de désirs imposés par la société, d’informations terrifiantes sur la planète, d’images d’animaux maltraités au prétendu nom de nos estomacs, de frayeurs devant un monde qui ne tourne plus rond. Florence Besson était journaliste à ELLE. Splendide comme une Miss Suède, intervieweuse choc de Hillary Clinton, elle a un jour décidé d’agir plutôt que de s’angoisser. Comme on change de peau, elle a quitté son métier et sa vie parisienne pour passer un BPREA, brevet professionnel pour devenir responsable d’une exploitation agricole. « Toucher terre » (éd. Flammarion) est le récit de sa recherche pour donner un sens à son existence. Cet ouvrage personnel, merveilleusement écrit d’une plume enivrée des beautés de la terre, sonne à nos oreilles comme un cri d’alarme en même temps qu’il donne un élan irrésistible. Vers les vraies richesses. Rencontre avec une belle échappée.
ELLE. Qu’est-ce qui a motivé votre envie de changer de vie ? On a l’impression, non pas d’un déclic, mais d’un glissement progressif vers de nouvelles aspirations…
Florence Besson. C’est une idée qui était dans ma tête depuis longtemps mais, comme un papillon, je ne savais pas où elle allait se poser. Je pense qu’on est nombreux à penser ainsi, on n’en peut plus, mais on continue car on nous fait croire qu’il n’existe rien d’autre que la vie que l’on mène. Puis, un jour, on aperçoit une porte de sortie et, pour moi, cela a été l’inscription au BPREA. Je me suis retrouvée, stagiaire, à travailler dans les champs avec l’impression que quelqu’un avait pris possession de mon corps. Mais, en fait, je crois que c’est mon vrai moi que j’ai enfin découvert, en osant remettre en cause une existence qui ne me correspondait plus.
ELLE. C’était un saut dans le vide, vous n’avez pas eu peur ?
Florence Besson. Si, mais j’ai appris à penser différemment. Je viens de lire Pablo Servigne, un ingénieur agronome, auteur de « Une autre fin du monde est possible ». Il parle de l’entraide comme d’une autre loi de la jungle, il explique qu’on s’est complètement trompé, qu’on a mal lu Darwin, on croit qu’on survit grâce à la loi du plus fort, alors que pas du tout, c’est l’entraide qui nous tient. Il explique qu’on est tous maintenus dans une société adolescente et narcissique qui nous réduit à courir derrière un tas de petits plaisirs. J’avais le souvenir de moi, petite fille, en classe verte, heureuse comme jamais de faire des choses avec mes mains, dans la nature. Un jour, je me suis dit que j’étais suffisamment adulte pour assumer mes rêves d’enfant. Je ne voulais plus être une adolescente qui court derrière des petits plaisirs, parce qu’en fait je préfère les grandes joies. Peut-être que j’aurai moins de fringues, moins de fric, moins de soirées, tant pis, tout ça me semblait être une espèce de fête à neuneus dans laquelle j’étouffais.
ELLE. Un mot revient souvent au début de votre récit : la honte. c’est un sentiment que vous éprouviez ?
Florence Besson. Je n’avais pas honte de moi, mais de la vie que je menais sans y penser. Quand je bois un café, si ça se trouve, je déforeste le Malawi ! Je ne voulais plus séparer à ce point les causes des effets. Est-ce que je fais des choses monstrueuses en appuyant juste sur un petit bouton, en envoyant un mail par exemple ? Eh bien oui ! Mais on ne peut pas continuer à pourrir le monde en faisant semblant de l’ignorer. Dire « j’ai honte », c’était aussi une façon de clamer que j’étais malheureuse.
ELLE. Et légèrement schizophrène aussi, vous racontez de manière très drôle comment vous aimez boire un café ou vous acheter des magnifiques chaussures !
Florence Besson. Bien sûr que oui, j’aime ça ! Il faudrait trouver un juste milieu, je ne sais pas s’il existe, mais on peut essayer de le chercher ! Je ne compte pas jeter ma robe panthère Dolce & Gabbana que j’adore.
ELLE. Mais vous vous retrouvez vêtue d’une combinaison de travailleuse agricole à laver de la bouse de vache dans une ferme !
Florence Besson. Dans la bouse de vache jusqu’au cou, mais émerveillée par le monde qui m’entoure. À ma place. Le beau, c’est la nature, mais c’est aussi un vêtement. Ce que je trouve absurde, c’est le surplus, le trop-plein de fringues qui fait que chaque matin, j’avais l’impression de jouer à Barbie avec moi-même : est-ce que je m’habille en Barbie working girl ou en Barbie skateuse ? C’est ne pas se connaître soi-même que de continuer à courir après mille choses. Évidemment que je ne renie pas ce monde, mais j’ai envie de retrouver un sens à ce que je fais.
ELLE. Pas seulement vous angoisser mais agir ?
Florence Besson. Exactement. Et, dès que tu agis, tu t’angoisses moins ! Dans « Noces » de Camus, il y a cette phrase que j’adore : « L’espoir, au contraire de ce que l’on croit, équivaut à la résignation. Et vivre, c’est ne pas se résigner. » Si tu espères, tu arrêtes d’agir… Je sais bien que je ne vais pas sauver le monde, mais si j’arrive à préserver dix hectares, à faire prendre conscience à des gens que la disparition des vers de terre est aussi grave que la fonte des glaciers, qu’il faut cesser, comme on le fait, de bétonner l’équivalent d’un département en France tous les sept ans, arrêter de traiter les animaux avec barbarie, ce sera minuscule, mais j’aurai au moins fait un truc pas mal.
MOI, JE CONNAIS TOUT SUR LAETITIA HALLIDAY, ÇA RIME À QUOI ? PIERRE CONNAÎT LE NOM DE CHAQUE ARBRE, C’EST UN VRAI SAVOIR…
ELLE. Vous rêvez de vivre comme dans un roman de Jean Giono, mais la réalité que vous découvrez est moins exaltante, qu’avez-vous appris lors de vos stages ?
Florence Besson. L’agriculture telle que je l’ai découverte dans la ferme bio de Pierre, un homme formidable qui a bien voulu m’apprendre et me faire découvrir son métier, c’est physiquement trop dur pour moi, j’ai 43 ans, je suis trop vieille, trop grande ! Mais je suis tellement admirative. Ce fut une grande leçon d’humilité et d’émerveillement devant ses connaissances. Moi je connais tout sur Laeticia Hallyday, ça rime à quoi ? Pierre connaît le nom de chaque arbre, chaque oiseau, c’est un vrai savoir… Et surtout, j’ai découvert que je vivais dans un miracle ! Et que par rapport aux plantes et aux animaux, l’homme, contrairement à ce qu’il pense, n’est pas le plus malin ! Il existe mille causes d’émerveillement. C’est pour faire partager ce sentiment que je voudrais monter une ferme-hôtel pédagogique. Aider les agriculteurs bio car leur situation est très dure, sensibiliser les citadins au travail de la terre, leur apprendre à se servir de leurs mains, permettre un dialogue entre tous. Franchement, ça m’exalte plus que de consommer. Tout ce que la société nous propose, c’est d’acheter ! Mais ce n’est pas mon rêve d’être Kim Kardashian. Ce n’est pas seulement une affaire d’éthique, on nous propose un monde qui est moche. Moi je suis plus admirative… devant un canard !
ELLE. Une grande part de votre engagement vient de votre amour des animaux…
Florence Besson. Je me sens mieux avec eux, ça fait couillon de dire ça ! Mais peut-être que tout ce qu’on cherche c’est un amour qui n’abîme pas, et les animaux nous apprennent à vivre dans le respect du mystère de l’autre. Je ne me sens pas plus maligne qu’un canard ou une fourmi ! Je suis sûre qu’il y a des petits poissons snobs et des vaches ennuyeuses, mais les animaux me font du bien. Quand mon chien est mort, j’étais enfant, j’ai appelé ma grand-tante pour savoir s’il irait au paradis. Un paradis sans plantes et sans animaux, c’est atroce, inimaginable !
Article paru dans le Magazine Elle,
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