Les lions du cirque
En 2028, c’en sera fini des animaux sauvages dans les cirques. Alléluia. On ne verra plus un éléphant aux yeux tristes coincé dans une roulotte, un tigre devenu fou faire trois pas à gauche trois pas à droite comme un pauvre Rain Man et puis c’est tout, comme quand on était petits et que ça faisait déjà de la peine, mais que les grands disaient que c’était le cirque et voilà tout. On ne verra plus ces animaux fantastiques, ces bêtes des grands espaces, ces rois de la nature, au cachot. La France est en retard, quasi tous les autres pays européens ont interdit cette forme de maltraitance depuis une dizaine d’années.
Dans « Courrier international », un « dompteur de fauves » a les larmes aux yeux, parce que, il le sait, c’est la fin de son métier. Il jure ne pas maltraiter les animaux et on veut bien croire qu’il le pense. Mais ce qui frappe, c’est lorsqu’il confie pourquoi ce métier le fascine : « le cirque, dit-il, c’est un tête-à-tête avec la peur. Un funambule peut tomber, un dompteur se faire dévorer. Quand je pose un pied dans la cage, je mets ma vie en danger, l’adrénaline inonde mon corps, et j’adore cette sensation ».
Voilà. Ce qu’aime cet homme, ce ne sont pas les animaux, c’est la peur. L’impression d’être vivant, comme j’imagine un fan de sports extrêmes, un fou de base jumping. Ok. Mais pourquoi pas juste sauter d’un élastique et n’embêter que le pont ? Pourquoi pas se mettre au ski et n’ennuyer que la montagne ? Pourquoi ruiner la vie de tant d’autres ? D’autant que le risque, s’il est là, bien sûr, est faible. C’est du coup moins beau. Moins noble. Non, je ne vois rien de noble dans ce risque-là, qui entraîne la ruine d’une autre vie. Il y a aussi j’imagine la force qu’il pense avoir, quand il s’en sort. Et ça aussi, ça me semble moche. Comme un homme qui frappe une femme. Ou un enfant. Comme un boss qui crie sur plus faible que lui. En Angleterre, il a été établi que si un homme frappe son animal de compagnie, il y a de fortes chances qu’il maltraite également sa femme et ses enfants, des statistiques ont été faites. Evidemment loin de moi l’idée de penser que ce dompteur est un dangereux personnage. Simplement, il exprime une vérité : quand on maltraite un animal, c’est pour se sentir puissant. Avec plus faible que soi (car même un lion, dans une cage, est plus faible qu’un homme qui maîtrise tout, ouvre, ferme, nourrit, semble alors un dieu plus qu’une proie). Vouloir être puissant n’est pas un mal en soi, mais l’être au dépend d’un autre est minable. Et ce n’est pas toujours le cas. Beyoncé est puissante sans écraser Rihanna. De Gaulle fut puissant et eût sans doute aimé que Pétain le soit aussi. MBappé n’empêche pas qu’on admire un Messi. On peut être puissant. Gagner. Sans écraser. Sans enfermer.
Dans la forêt, il y a une certaine lutte, mais on n’écrase pas l’autre pour avoir du soleil ; au contraire, on dit que les arbres sont timides, car ils respectent le besoin de lumière de leurs congénères. Ça ne les empêche pas de s’élever haut, haut et grand et beau. Comme des lions.